Le cimetière de bateaux de Rostellec

0 – Situé à l’ouest de la presqu’île que forme désormais l’Île Longue, Rostellec est habité depuis au moins l’époque gallo-romaine ; un four à chaux et un dépôt de bois y étaient implantés au XVIIIème siècle et de nombreuses carrières y ont été exploitées. Un port s’y est développé au XIXème siècle, assurant un trafic de cabotage dans la Rade de Brest et exportant sables coquilliers et maërl. La pêche à la coquille Saint-Jacques s’y développa aussi et, entre 1957 et 1981 un chantier naval venu du Fret, le chantier Auguste Tertu.

Rostellec est désormais connu par son cimetière de bateaux. Une chaussée sur l’estran y reste visible, témoignage des activités maritimes passées. Une nouvelle cale y a été construite en 1960 pour compenser l’interdiction d’utiliser désormais celles de l’Île Longue voisine, en raison de la présence de la base sous-marine.

L’anse de Rostellec, dépendant de la commune du Fret en Presqu’île de Crozon, possède l’un des trois cimetières de bateaux de la Presqu’île avec celui du Sillon de Camaret, le plus touristique et celui du Fret plus modeste.

1 – En novembre 2017, accusé de « jet ou abandon de déchets sur les rivages de la mer », Pierre Tertu doit débarrasser la grève du Treizic en Rostellec, à Crozon des épaves de bateaux.

La grève du Treizic en Rostellec, à Crozon est bien connue de tous les marins. C’est là qu’Auguste Tertu, le père de Pierre a lancé ses plus grands bateaux en bois, des langoustiers mauritaniens notamment, dont le Banc d’Arguin, de 37 m de long, en 1961, considéré comme le plus grand bateau de bois en Europe.

Auguste n’est plus et les épaves gisent sur la grève, témoins silencieux et imposants d’une construction navale florissante. Comment ne pas comprendre son fils Pierre qui a reçu la convocation du procureur de la République de Quimper: « Vous avez fait l’objet d’une procédure établie par la brigade nautique de Telgruc le 19 octobre 2017 pour jet ou abandon de déchets en nombre important sur les rivages de la mer, faits commis du 1er octobre 2014 au 19 octobre 2017. »

« Les Affaires maritimes considèrent les épaves comme des déchets, alors que ce sont des éléments irremplaçables du patrimoine maritime ».

Pierre Tertu : « Mon père Auguste a construit ici son premier bateau, un voilier, en 1920, il avait 14 ans, se souvient-il. Et il a construit son dernier ici, en 1983, un ligneur pour les Côtes-d’Armor. Il est décédé avant de le terminer, et j’en ai fait un voilier nommé Auguste Tertu ». Pour être plus précis, le premier chantier d’Auguste Tertu se situait sur les bords de l’étang du Fret, à l’emplacement actuel des chantiers Stipon. « D’ailleurs, il se pourrait bien que ces épaves du Fret qui sont sur le bord de la route subissent le même sort ».

La petite route bitumée qui mène de ces chantiers à celui de Tertu s’appelle d’ailleurs rue Auguste-Tertu. Et quand on arrive sur la grève du Treizic, ce sont une vingtaine d’épaves qui se trouvent sur une plage de sable et de galets. « On veut faire effacer tant de choses, poursuit celui que le plan Mellick, ordonnant la destruction des vieux bateaux, a poussé à changer de métier et à devenir marin à 57 ans. On voudrait faire disparaître ces bateaux qui ont fait vivre tant de marins et leurs familles. On veut anéantir tout ça. »

Auguste Tertu était admiré de beaucoup de marins. Il avait cette grande originalité de construire aussi bien pour la pêche que pour la plaisance. « C’était un fin régatier et, quand les plaisanciers voyaient arriver son bateau, ils disaient que ce n’était pas la peine de lutter ».

Pourquoi les magnifiques épaves de Camaret tant photographiées par les touristes peuvent rester près de la chapelle Notre-Dame-de-Rocamadour ? « Parce qu’elles se situent dans l’enceinte portuaire, explique Pierre Tertu. Tandis qu’à Rostellec, c’est le domaine public maritime. »

2 – Décembre 2017. SAUVONS NOS ÉPAVES ! NOS VIEILLES COQUES NE SONT PAS DES « DÉCHETS » ! plaident les amoureux de la mer et des vieilles coques, amoureux de le mer et des bateaux…

Le cimetière à bateaux de Rostellec, dans la presqu’île de Crozon, est la dernière étape de nombreux bateaux de pêche en bois. Beaucoup y furent construits à cet endroit par Auguste Tertu, l’un des plus fameux charpentiers de marine de la région. D’autres vieilles coques, celles-ci en parfait état de naviguer, sont entretenues sur place avec l’aide de Pierre Tertu, qui a repris une partie des activités de son père.

L’ensemble formé par ces bateaux est admirable. Pour tous les amoureux de la mer, ces vieilles coques sont un élément majeur de notre patrimoine maritime. En plus, elles ne sont pas éternelles. Alors, laissons-faire le temps. Mais l’idéologie sécuritaire menace de détruire ce qu’elle considère comme des « déchets » !

Sans la moindre tentative de conciliation, les foudres de la puissance publique vont s’abattre début décembre sur les propriétaires de ces vieilles coques. Les épaves du Fret, proches de celles de Rostellec, sont probablement elles-aussi, menacées. Et pourquoi pas, tant qu’à faire, d’autres épaves de Bretagne !

Le droit que s’arroge la puissance publique à décider seule de ce qui appartient ou non au patrimoine et à l’histoire locale est contestable. La puissance publique ferait mieux d’aider les acteurs locaux à mettre en valeur le patrimoine maritime.

3 – 13 juillet 2018. Rostellec. Pierre Tertu n’en peut plus du vandalisme. Peu entretenu par la commune et victime d’actes répétés de vandalisme, le site de Rostellec est en danger, un SOS pour ces épaves qui ne méritent pas de mourir deux fois.

Bordées, poulies, bouts… De nuit en nuit, les épaves de Rostellec se déshabillent. Armés de scies électriques et de masses, les voleurs taillent les carcasses des bateaux pour revendre ces vieux os à prix d’or sur les marchés d’artisanat marin. Ces actes de vandalisme mettent en émoi les amoureux de la mer, à commencer par Pierre Tertu, fils d’Auguste, célèbre charpentier de marine.

Disparu en 1982, il aura construit plus de mille bateaux alliant méthodes ancestrales et techniques inventives, dont le Banc d’Arguin, plus grand mauritanien d’Europe à l’époque. Ce sont principalement ses créations que Pierre voit partir en lambeaux. Bien que doté d’une volonté digne de celle de son père, Pierre, 80 ans, ne peut pas tout faire.

« On nous abandonne » – Grâce à son énergie pourtant, le cimetière a bien meilleure allure depuis quelque temps. Accoutumé à voir les bateaux de son père côtoyer déchets et coques en plastique abandonnés, il prend conscience de l’urgence. Avec le soutien de l’association Rostellec Patrimoine, il fait dégager les bateaux abandonnés et nettoyer la grève. La mairie a évacué douze tonnes d’algues amoncelées…

C’est pourtant un lieu de mémoire. La Drac (Direction régionale des affaires culturelles) le cite dans son inventaire comme un « condensé de l´histoire maritime de la rade de Brest ». Il devient urgent de valoriser l’endroit.

Des épaves en danger sont des épaves dangereuses – Malgré les plaintes déposées par Pierre, la gendarmerie n’a pas les effectifs pour patrouiller régulièrement sur ce secteur. Rostellec n’est pas privilégié en matière d’entretien des espaces verts, et pourtant il faut agir.

À force de dégradations, les épaves pourraient s’écrouler et blesser un visiteur. Les responsabilités ne sont pas plus claires que le statut de ce lieu.

Finalement, tout dépend de ce qu’on voit derrière ce bois. Pierre Tertu voit « des chênes, des pins, le bûcheron et la scierie, le charpentier, les mécaniciens puis les pêcheurs et les criées ». Il voit les vies que ce bois a portées et ramenées au port et se dit que « si après cinquante ans de mer il revient là, et au nom de tous les pêcheurs qui ne sont jamais revenus, le bateau a bien mérité une récompense, un peu de respect, je pense ».

4 – Le Hêtre et L’ Averse, deux navires échoués dans l’anse de Rostellec depuis cinquante ans ont été déconstruits en novembre 2019. Ils présentaient une problématique de sécurité publique.

Le Hêtre était un ancien remorqueur de 15 m pesant 50 tonnes, L’Averse un ancien navire-citerne à vapeur long de 35 m et d’un poids à vide de 185 tonnes. Les propriétaires les avaient acquis sur la base de projets précis qu’ils n’ont pas concrétisé. Ils les ont abandonnés. N’ayant pas fait l’objet d’une déclaration d’affectation commerciale, ces navires étaient classés comme navires de plaisance. Les propriétaires étant insolvables, l’État a pris la décision d’assumer la déconstruction de ces épaves pour la somme de 300 000 €.

5 – « Depuis un mois (février et mars 2020), mes épaves sont régulièrement dégradées. Cela les fragilise et les rend très dangereuses pour les visiteurs ! ». À Rostellec, Pierre Tertu s’occupe d’une douzaine d’épaves de bateaux construits au Fret par son père, Auguste. « Quand on touche aux épaves, c’est comme si on m’enlevait un morceau », tonne Pierre.

Dans l’anse, les squelettes des bateaux font triste mine, les bordées arrachées par des collectionneurs de bois flotté. Les épaves de Rostellec sont sur une zone qui fait partie de la zone de protection de l’Île Longue, où rien n’est fait pour protéger ces épaves, sur lesquelles on a également volé du matériel. «Il faut absolument protéger notre patrimoine historique ? » Pourtant Rostellec fait partie des lieux que conseillent les offices de tourisme aux visiteurs… Mais c’est devenu un lieu dangereux, malheureusement.

La partie moyenne fait face au chantier naval : à la différence de Camaret, dont les sept navires, tous en bois, proviennent tous des chantiers locaux, ont tous navigué pour la pêche à Camaret entre 1940 et 1980, et s’alignent le long de la courbe du Sillon, les épaves qui se trouvent à Rostellec  paraissent comme jetés par quelque seïsme dans un beau désordre où se mêlent des bateaux de tous types. Les épaves abandonnées se mélangent aux bateaux qui attendent, ou ont attendu, une éventuelle restauration, du temps où Pierre Tertu, fils d’Auguste, rachetait des coques à remettre en état, à ceux qui sont pris en charge par le chantier actuel ou placés en gardiennage, et à de pimpants canots qui ont choisis ce coin tranquille comme mouillage d’échouage. D’autres datent peut-être du temps où le chantier d’Auguste Tertu était en activité (1957-1981) et produisait des langoustiers et thoniers de 20 mètres.

Le cimetière de bateaux de Rostellec est un condensé de l´histoire maritime de la rade de Brest en général et de la presqu´île de Crozon en particulier. A côté des gabares à eau, les embarcations de transport et de plaisance se disloquent au milieu des langoustiers et des thoniers, les carcasses de bois et de fer se mélangent, certains finissent leur course au pied de la cale où ils ont été lancés voici plusieurs décennies. Ce musée à ciel ouvert est un témoignage éphémère.

Entre les coques, on voit encore la Cale de lancement en ciment de 18 m de long qui  servait  jusqu´à la fin des années 1970 à mettre à l´eau les bateaux construits par le « charpentier de Rostellec ».

A propos gebete29

golfeur, photographe, randonneur et tireur à la poudre noire, retraité qui sintéresse à l'Histoire de la Bretagne
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3 commentaires pour Le cimetière de bateaux de Rostellec

  1. cerda dit :

    il faut sauver ce patrimoine bien plus beau qu’un musée, je reve de voir ces endroits historiques

  2. PUT dit :

    Bonjour, j’aime beaucoup votre publication. Je souhaite toutefois yvonapporter une précision concernant la construction de la cale de Rostellec. Elle a été construite en 1960, c’est un projet qui datait de 1880 et qui n’a été concrétisé qu’en 1956 (source revue Avel Gornog n°4 de juin 1996 article de Didier Cadiou « les ports du Fret) « donc bien avant le projet d’implantation de la base de l’Ile Longue.

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